L’UGTT est de nouveau à la manœuvre. Pour conjurer le péril et protéger le pays de ses propres démons. Une fois de plus, le passé vient à la rescousse du présent. La centrale ouvrière se positionne, ainsi qu’ elle l’a toujours fait, comme l’ultime rempart pour éviter que le pays ne sombre corps et biens et ne se fracasse contre la déferlante des grèves et des manifestations en tout genre.
Le pays est devenu comme un bateau ivre qui navigue à vue, ballotté par les vagues sans cap précis. Il prend eau de toutes parts et menace de chavirer à tout instant. La visibilité est nulle, la productivité ne fait plus partie de notre vocabulaire tout comme l’impératif de compétitivité. Elles sont toutes deux rangées dans le placard des oubliettes. La production marque le pas, celle qui est du ressort de l’Etat et de ses entreprises est en mode ralenti quand elle n’est pas à l’arrêt.
Dix ans après la révolution, le pays, qui était le 2ème exportateur mondial de produits phosphatés, est contraint d’en importer pour honorer ses engagements auprès de ses clients locaux qui menacent de poursuites judiciaires.
« La visibilité est nulle, la productivité ne fait plus partie de notre vocabulaire tout comme l’impératif de compétitivité »
Peu de pays sont capables d’un tel exploit qui ne semble guère émouvoir la centrale ouvrière qui ne cède pourtant rien sur les salaires d’employés qui se nourrissent sur une bête en décomposition.
Le gouvernement n’et plus maître de ses installations pétrolières ou hydrauliques, placées désormais sous la menace de « coordinations spontanées » aux exigences peu conventionnelles . Elles pratiquent la politique de la terre brûlée en coupant les sources d’approvisionnement de phosphate, pétrole, gaz et eau en attendant de s’en prendre aux voies de communication. Volontairement ou non, elles sont en train de répandre une sorte de stratégie du chaos.
Cette forme de lutte sociale aux relents guerriers aboutit au final à priver l’Etat de ressources, semer le trouble dans le pays et battre en brèche ce qui reste du sentiment national. C’est l’Etat et la République que les révoltés et les insoumis prennent, peut-être sans le vouloir, le risque de casser.
Déclarer de partout la guerre au pays pour protester contre le chômage et la pauvreté pose un certain nombre d’interrogations. Sur les véritables intentions des irréductibles, il est vrai lassés de tant de mensonges et promesses sans lendemain mais aussi sur les temporisations du gouvernement actuel sur qui retombent tous les problèmes. Qui refuse l’affrontement et bat en retraite. Il s’isole, ce faisant, chaque jour davantage lâché par ses propres alliés qui sont déjà dans l’après-2019.
Pacte national
Le mal des régions est réel et profond. Elles portent d’énormes blessures. Elles n’ont pas eu droit au développement, à une infrastructure économique et sociale digne de ce nom. Les services de soins, d’éducation, de formation, d’assistance et de couverture sociale sont réduits à leur plus simple expression quand ils existent.
Peu de démonstration de discrimination positive et moins encore d’égalité des chances. Ces régions aujourd’hui en ébullition n’ont pas vu se développer des activités de marché, s’installer des usines et secréer des emplois.
A qui la faute ? Sans doute aux gouvernements successifs englués dans d’interminables querelles politiques et incapables par ailleurs de produire de la croissance en faisant redémarrer la machine économique nationale. Aux régions elles-mêmes à cause d’une instabilité chronique, d’occupation des rares usines existantes, de débrayages à tout-va et d’une montée en puissance de revendications de plus en plus radicales qui font fuir les investisseurs.
« Ces régions aujourd’hui en ébullition n’ont pas vu se développer des activités de marché, s’installer des usines et secréer des emplois »
L’Etat ne peut tout faire à lui tout seul, si tant est qu’il ait les moyens. Il ne peut se substituer aux investisseurs privés. Contre le chômage et pour l’emploi, la dignité et la justice sociale, les menaces des contestataires ont fini par bloquer les voies de l’investissement, les créations d’emplois, de revenus et de richesses.
Qui donc pouvait les mettre en garde contre de tels agissements ? Et puis à bien considérer les demandes, on n’est quelque peu pris par le doute. Il y a fort à craindre que c’est moins l’emploi- le vrai -qui est visé que davantage une forme de tribut, de prélèvement de revenus en s’arrogeant une place de choix dans le banquet national.
On n’a pas connaissance que ces « jeunes » qui défient l’autorité de l’Etat aient une forte propension au travail qu’ils abhorrent du reste en raison de ses servitudes et de ses exigences, ce qui ne semble pas incommoder l’UGTT, pas plus d’ailleurs que les formations politiques les plus proches du gouvernement. Le pays se meurt dans l’indifférence générale.
« L’Etat ne peut tout faire à lui tout seul, si tant est qu’il ait les moyens »
Ce qui fait monter sur ses grands chevaux la centrale ouvrière. Elle sonne de nouveau la charge pour sauver le soldat Tunisie. Quoi de mieux qu’un dialogue national pour enrayer la chaîne de contamination contestatrice?
Sauf que dans l’état actuel de décomposition de l’économie de la société, ce dialogue a peu de chances de réduire le gap entre le pays réel et le pays légal. Le découplage est déjà dans les faits. Seule manière de résorber la fracture : remonter aux origines de nos fondamentaux et conclure un vrai pacte national qui scellera l’union sacrée. Savoir parler d’une seule voix aux régions déshéritées, aux laissés-pour-compte et renouer le fil des solidarités nationales.
Pour le reste, la feuille de route s’impose d’elle-même. Pour tout gouvernement qui a un cap et la volonté de servir ce pays.